Dispositif de pouvoir (Michel Foucault)

Textes de Foucault

1975 : Surveiller et punir. Naissance de la prison

« La politique, comme technique de la paix et de l’ordre intérieurs, a cherché à mettre en œuvre le dispositif de l’armée parfaite, de la masse disciplinée, de la troupe docile et utile, du régiment au camp et aux champs, à la manœuvre et à l’exercice. » (p. 170)

« L’exercice de la discipline suppose un dispositif qui contraigne par le jeu du regard ; un appareil où les techniques qui permettent de voir induisent des effets de pouvoir, et où, en retour, les moyens de coercitions rendent clairement visibles ceux sur qui ils s’appliquent. » (p. 173)

« Le Panoptique est une machine à dissocier le couple voir-être vu : dans l’anneau périphérique, on est totalement vu, sans jamais voir ; dans la tour centrale, on voit tout, sans être jamais vu.
Dispositif important, car il automatise et désindividualise le pouvoir. Celui-ci a son principe moins dans une personne que dans une certaine disposition concertée des corps, des surfaces, des lumières, des regards ; dans un appareillage dont les mécanismes internes produisent le rapport dans lequel les individus sont pris. » (p. 202)

« Le dispositif panoptique n’est pas simplement une charnière, un échangeur entre un mécanisme de pouvoir et une fonction ; c’est une manière de faire fonctionner des relations de pouvoir dans une fonction, et une fonction par ces relations de pouvoir. » (p. 208)

« Deux images, donc, de la discipline. À une extrémité, la discipline-blocus, l’institution close, établie dans les marges, et toute tournée vers des fonctions négatives : arrêter le mal, rompre la communication, suspendre le temps. À l’autre extrémité, avec le panoptisme, on a la discipline-mécanisme : un dispositif fonctionnel qui doit améliorer l’exercice du pouvoir en le rendant plus rapide, plus léger, pus efficace, un dessin des coercitions subtiles pour une société à venir . (p. 211)

1976 : Histoire de la sexualité I. La volonté de savoir

« On a non seulement élargi le domaine de ce que l’on pouvait dire du sexe et astreint les hommes à l’étendre toujours ; mais surtout on a branché sur le sexe le discours, selon un dispositif complexe et à effets variés, qui ne peut s’épuiser dans le seul rapport à une loi d’interdiction. Censure sur le sexe ? On a plutôt mis en place un appareillage à produire sur le sexe des discours, toujours davantage de discours, susceptibles de fonctionner et de prendre effet dans son économie même. » (p. 33)

« Il faut donc sans doute abandonner l’hypothèse que les société industrielles modernes ont inauguré sur le sexe un âge de répression accrue. Non seulement on assiste à une explosion visible des sexualités hérétiques. Mais surtout – et c’est là le point important – un dispositif fort différent de la loi, même s’il s’appuie localement sur des procédures d’interdiction, assure, par un réseau de mécanismes qui s’enchaînent, la prolifération de plaisirs spécifiques et la multiplication de sexualités disparates. » (P. 67)

« En tout cas, depuis cent cinquante ans bientôt, un dispositif complexe est en place pou produire sur le sexe une discours vrai ; un dispositif qui enjambe largement l’histoire puisqu’il branche la vieille injonction de l’aveu sur les méthodes de l’écoute clinique. » (P. 91)

« Mais le postulat de départ que je voulais tenir le plus longtemps possible, c’est que ces dispositifs de pouvoir et de savoir, de vérité et de plaisirs, ces dispositifs, si différents de la répression, ne sont pas forcément secondaires et dérivés ; et, que la répression n’est pas de toute façon fondamentale et gagnante. Il s’agit donc de prendre ces dispositif au sérieux, et d’inverser la direction de l’analyse : plutôt que d’une répression généralement admise, et d’une ignorance mesurée à ce que nous supposons savoir, il faut partir de ces mécanismes positifs, producteurs de savoir, multiplicateurs de discours, inducteurs de plaisir, et générateurs de pouvoir, les suivre dans leurs conditions d’apparition et de fonctionnement, et chercher comment se distribue par rapport à eux les faits d’interdiction ou d’occultation qui leur sont liés. » (p. 97-98)

« En fait, il s’agit plutôt de la production même de la sexualité. Celle-ci, il ne faut pas la concevoir comme une sorte de donné de nature que le pouvoir essaierait de mater, ou comme une domaine obscur que le savoir tenterait, peu à peu, de dévoiler. C’est le nom qu’on peut donner à un dispositif historique : non pas réalité d’en dessous sur laquelle on exercerait des prises difficiles, mais grand réseau de surface où la stimulation des corps, l’intensification des plaisirs, l’incitation au discours, la formation des connaissances, le renforcement des contrôles et des résistances, s’enchaînent les uns avec les autres, selon quelques grandes stratégies de savoir et de pouvoir. » (p. 139)

« Cet épinglage du dispositif d’alliance et du dispositif de sexualité dans la forme de la famille permet de comprendre un certains nombre de faits : que la famille soit devenu depuis le XVIIIe siècle un lieu obligatoire d’affects, de sentiments, d’amour ; que la sexualité ait pour point privilégié d’éclosion la famille ; que pour cette raison, elle naisse « incestueuse ». (p. 143)

« En face de cela, les couches populaires ont longtemps échappé au dispositif de « sexualité ». Certes, elles étaient soumises, selon des modalités particulières aux dispositif des « alliances » […] » (p. 161)

« L’histoire du dispositif de sexualité, tel qu’il s’est développé depuis l’âge classique, peut valoir comme archéologie de la psychanalyse. On l’a vu, en effet, elle joue dans ce dispositif plusieurs rôles simultanés : elle est mécanisme d’épinglage de la sexualité sur le système d’alliance ; elle s’établit en position adverse par rapport à la théorie de la dégénérescence ; elle fonctionne comme différenciateur dans la technologie générale du sexe. » (p. 172)

« Il faut penser le dispositif de sexualité à partir des techniques de pouvoir qui lui sont contemporaines ? » (p. 198)

« En créant cet élément imaginaire qu’est le « sexe », le dispositif de sexualité a suscité un de ses principes internes de fonctionnement les plus essentiels : le désir du sexe – désir de l’avoir, désir d’y accéder, de le découvrir, de le libérer, de l’articuler en discours, de le formuler en vérité. » (p. 207)

« Et nous devons songer qu’un jour, peut-être, dans une autre économie des corps et des plaisirs on ne comprendra plus bien comment les ruses de la sexualité et du pouvoir qui en soutient le dispositif, sont parvenus à nous soumettre à cette austère monarchie du sexe, au point de nous vouer à la tâche indéfinie de forcer son secret et d’extorquer à cette ombre les aveux les plus vrais. » (p. 211)

1977 : Le jeu de Michel Foucault

« Ce que j’essaie de repérer sous ce nom, c’est, premièrement, un ensemble résolument hétérogène, comportant des discours, des institutions, des aménagements architecturaux, des décisions réglementaires, de lois, des mesures administrative, des énoncé scientifiques, des propositions philosophiques, morales, philanthropiques, bref : du dit, aussi bien que du non-dit, voilà les éléments du dispositif. Le dispositif lui-même, c’est le réseau qu’on peut établir entre ces éléments.
Deuxièmement, ce que je voudrais repérer dans le dispositif, c’est justement la nature du lien qui peut exister entre ces éléments hétérogènes. Ainsi, tel discours peut apparaître tantôt comme programme d’une institution, tantôt au contraire comme un élément qui permet de justifier et de masquer une pratique qui, elle, reste muette, ou fonctionner comme réinterprétation seconde de cette pratique, lui donner accès à un champ nouveau de rationalité. Bref, entre ces éléments, discursifs ou non, il y a comme un jeu, des changements de position, des modifications de fonctions, qui peuvent, eux aussi, être très différents.
Troisièmement, par dispositif, j’entends une sorte – disons – de formation, qui à un moment historique donné, a eu pour fonction majeure de répondre à une urgence. Le dispositif a donc une fonction stratégique dominante. Cela a pu être, par exemple, la résorption d’une masse de population flottante qu’une société à économie de type essentiellement mercantiliste trouvait encombrante : il y a eu là un impératif stratégique, jouant comme matrice d’un dispositif, qui est devenu peu à peu le dispositif de contrôle-assujetissement de la folie, de la maladie mentale, de la névrose. » (p. 299)

Bibliographie

Corpus foucaldien

  • Surveiller et punir. Naissance de la prison, Paris, Gallimard, « Bibliothèque des histoires », 1975, p. 142, 145, 170, 173, 176, 178-179, 199, 202-203, 206, 208-209, 211, 269, 287, 306.
  • Histoire de la sexualité I. La volonté de savoir, Paris, Gallimard, « Bibliothèque des histoires », 1976, p. 33, 58, 63, 67, 82, 91, 99, 111, 132, 139-147, 149-150, 160-162, 166-173, 185, 198, 200-201, 203-211.

Cours du Collège de France

  • Le Pouvoir psychiatrique . Cours au Collège de France. 1973-1974, Paris, Gallimard, 1999. (Gallimard-Seuil, 2003, p. 14, 15, 48, 54, 55, 66-67, 79, 82-83, 86-87, 109, 143, 147, 152, 156, 163-164, 186, 233, 299-301, 305-310, 316, 324.)
  • Les anormaux. Cours au Collège de France. 1974-1975, Paris, Gallimard-Seuil, 1999, p. 45, 65, 164, 177, 282, 292, 310.
  • « “Il faut défendre la société” ». Cours au Collège de France. 1976, Paris, Gallimard-Seuil, 1997, p. 152, 154, 169.
  • L’Herméneutique du sujet. Cours au Collège de France. 1981-1982, París, Gallimard-Seuil, 2001, p. 305, 344, 393, 441, 450, 464, 469.

Dits et Écrits (autres textes)

  • Michel Foucault, « Le jeu de Michel Foucault », entretien avec Colas, D. Grosrichard, A. Le Gaufey, G. Livi, J. Miller, G. Miller, J. Miller J.-A. Millot, C. Wajeman, Ornicar, Bulletin périodique du champ freudien, n° 10, juillet 1977, p. 62-93. (Repris in Dits et Ecrits II. 1976-1979, Paris, Gallimard, « Bibliothèque des sciences humaines », 1994, texte n° 206, p. 299.)
  • Michel Foucault, « Des espaces autres » (conférence de 1967), Architecture, Mouvement, Continuité, n° 5, octobre 1984, p. 46-49. (Repris in Dits et écrits IV. 1980-1988, Paris, Gallimard, « Bibliothèque des sciences humaines », 1994, texte n° 360.) [Texte également connu sous le titre « Hétérotopies ».]
  • Dits et Ecrits II. 1970-1975, Paris, Gallimard, « Bibliothèque des sciences humaines », 1994, p. 719, 759, 827.
  • Dits et Ecrits III. 1976-1979, Paris, Gallimard, « Bibliothèque des sciences humaines », 1994, p. 18, 113, 159, 201, 207, 233-234, 248, 251-253, 260, 298-302, 306-307, 312-314, 320-321, 323, 331, 422, 465, 527, 570, 575-576, 594, 632, 731, 772.
  • Dits et Ecrits IV. 1980-1988, Paris, Gallimard, « Bibliothèque des sciences humaines », 1994, p. 28, 240-241, 368-370, 375, 659-662.

Commentaires

Gilles Deleuze

  • Gilles Deleuze, « Un nouveau cartographe », Foucault, (1986) Paris, Minuit, coll. « Reprise », 2006, p. 31-51.
  • Gilles Deleuze, «Qu’est-ce qu’un dispositif?», in Michel Foucault. Rencontre internationale, (Paris, 9, 10, 11 janvier 1988), Paris, Le Seuil, coll. « Des Travaux », 1989. (Repris in Deux régimes de fous et autres textes (1975-1995), Paris, Minuit, coll. « Paradoxe », 2003, p. 316-325.)

Giorgio Agamben

  • Giorgio Agamben, Che cos’è un dispositivo ?, Rome, Nottetempo, 2006. (Qu’est-ce qu’un dispositif ?, traduit de l’italien par Martin Rueff, Paris, Payot & Rivages, coll. « Rivages poches/Petite Bibliothèque », 2007.)
  • Dominique Hasselmann, « Dispositifs », 2 mai 2007 : <http://remue.net/spip.php?article2257> [c. r. du livre d’Agamben]

Autres commentaires

  • Lawrence Olivier, « La question du pouvoir chez Foucault: espace, stratégie et dispositif », in Revue canadienne de science politique, vol. 21, n° 1, mars 1988, p. 83-98.
  • Mathieu Potte-Bonneville, « Dispositif », Vacarme, n° 18, hiver 2002.
  • Sverre Raffnsøe, « Qu’est-ce qu’un dispositif ? L’analytique sociale de Michel Foucault », Symposium : Revue canadienne de philosophie continentale, voL. 12, n° 1, printemps 2008.
  • Frank Kessler, « Notes on dispositif », (Utrecht Media Research Seminar, juin 2004), mai 2006 : <http://www.let.uu.nl/~Frank.Kessler/personal/notes on dispositif.PDF>