Pourquoi s’intéresser aux expositions?

[Texte d’introduction à un cours sur les savoir-faire de l’exposition, IUP des métiers culturels, Université de Bourgogne, 1994.]

L’exposition comme instance surdéterminante

Le musée a été, et demeure, une référence majeure. C’est un lieu d’expérience et de compétence professionnelle. Mais l’exposition agit depuis le XIX° siècle (disons depuis Turner, Géricault et Courbet) comme un impératif qui ordonne, en sous-main, une grande partie de l’art, de sa production comme de sa gestion et de sa communication. On a vu dans l’art contemporain un art pour le musée. Peut-être, cependant, la «fin» de l’art n’est-elle pas tant à rechercher dans le musée que dans l’exposition ?

C’est l’exposition qui donne aux œuvres un mode d’existence esthétique discontinu. En faisant alterner les mises à vue et les retraits, comme par sa prolifération dans les dernières décennies, elle rend manifeste la puissance de la pulsion scopique et son rôle majeur dans la constitution de l’ethos moderne.

Depuis cinquante ans le nombre d’expositions organisées de part le monde n’a cessé de croître de façon exponentielle. Il en est de même de la part du temps qui leur est globalement consacré par les professionels travaillant dans les musées ; corrélativement, la masse budgétaire afférente est entrée en concurrence directe avec celle nécessaire aux achats. L’exposition temporaire a pris le pas, dans certains musées, sur l’exposition des œuvres de la collection, au point que certains nouveaux musées ont été conçus sans salles de présentation permanente. Les œuvres de la collection sont, dès lors, soumises à rotation et n’apparaissent plus que dans le cadre de l’exposition temporaire ; dès lors, elles participent, au même titre que celles que le musée ne possède pas, du vaste stock virtuel à disposition de l’organisateur.

Ne faut-il pas en conclure que l’exposition est devenue le centre, non avoué, de la pratique muséographique ?

0.1.2. Transversalité de l’exposition

L’exposition est une pratique partagée par des acteurs de la scène culturelle, appartenant à des institutions différentes. En ce qui concerne l’art contemporain, conservateurs de musées, directeurs de centres d’art, de fonds régionaux d’art contemporain, critiques, commissaires travaillant en free lance, animateurs de centres culturels, professeurs d’écoles d’art, artistes, collectionneurs ou simples amateurs, nombreux sont ceux qui peuvent se parer, pour un laps de temps plus ou moins long, du titre d’organisateur — comme si le caractère présent de cet art légitimait une plus grande diffusion des compétences.

Ces personnes sont loin d’avoir reçu la même formation et c’est, la plupart du temps, sur le tas qu’elles ont appris, tant bien que mal, le « métier », — du moins sous les aspects particuliers qu’induit l’art contemporain. Or toutes partagent le même savoir-faire, nullement indexé à une profession particulière : un savoir-faire transversal. Beaucoup ont mis des années à apprendre par eux-mêmes, à trouver la bonne marque de projecteur, ou à rédiger correctement une bio-bibliographie. Beaucoup s’égarent, aussi, en s’inventant des régles propres, quand des codes existent dont elles n’avaient pas trouvé l’accès.

Le métier d’organisateur d’exposition, pour être diffus, n’en mérite pas moins une reconnaissance. Il requiert aussi qu’en soit pensée la transmission.

Insuffisances de l’approche muséographique

On fera remarquer que l’exposition relève traditionnellement de la muséographie. Les manuels de muséographie lui consacrent un chapitre, entre les exigences de la conservation et l’impératif nouveau de l’animation. Dans tous ces manuels les problèmes spécifiques à la présentation de l’art (et encore plus à celle de l’art contemporain) sont noyés dans une approche anthropologique — celle même qui domine à l’I.C.O.M. et dans la revue Museum —, quand ils ne sont pas passés sous silence. L’art y est surdéterminé en tant qu’« objet témoin ». La présentation y est toujours hypothéquée par ce sur-codage qui donne des résultat désastreux quand des professionnels, formés à ce moule, se mêlent d’exposer de l’art contemporain. La muséographie a toujours du mal, par son savoir-faire propre, à ne pas académiser les œuves dont elle a la charge. Faut-il évoquer ces certificats d’œuvres conceptuelles exposés dans les vitrines du cabinet des dessins du Musée national d’art moderne, ou ces Carl Andre et ces Richard Long présentés sur des socles dans telle exposition de la Fondation Maeght ? Les exemples, hélas, abondent.